China, may 2017

« Qu’on songe seulement à ce que nous nommons « paysage » […] le paysage est « la partie de pays », dit de nos jours encore le dictionnaire, « que la nature présente à un observateur », celui-ci le découpant à partir de sa perspective et cet horizon se modifiant en fonction de sa position. Le Sujet, autrement dit, est devant le paysage, extérieur à lui et demeurant autonome ; il ne s’y compromet pas. Or la Chine dit, en place de paysage, « montagne(s)-eau(x) », shan-shui, 山水 : à la fois ce qui tend vers le haut (la montagne) et ce qui tend vers le bas (l’eau) ; ou ce qui est immobile et demeure impassible (la montagne) et ce qui ne cesse d’ondoyer ou de s’écouler (l’eau) […] Ou bien encore, dit-on en chinois, « vent-lumière », fengjing : d’une part, ce qui ne cesse de passer et d’animer, mais qu’on ne voit pas (le « vent ») ; de l’autre, ce qui fait venir à la visibilité et favorise la vitalité (la « lumière »). Ce faisant, la langue-pensée chinoise nomme ainsi toujours une corrélation de facteurs, entrant en interaction et se constituant en polarité. Du « sujet » n’en est pas absent, mais il s’y trouve immergé : il est d’emblée partie prenante de ce champ tensionnel qui s’instaure et dont il ne saurait se détacher. »

François Jullien, De l’Etre au Vivre – Lexique euro-chinois de la pensée, Gallimard, 2015.